Engagement politique et bénévolat

Engagez-vous qu’ils disaient! Le légionnaire du camp de Babaorum était pourtant rétribué et c’est bien ce qui le différencie d’un engagement bénévole. En Suisse, la plupart des engagements politiques ne sont pas rémunérés ou tout juste défrayés. Mais quel rapport juridique nouent les personnes actives en politique avec la collectivité publique pour laquelle elles s’engagent?

Tout d’abord le principe : la caractéristique de l’engagement bénévole consiste à fournir un service dans l’intérêt de tiers et cela gratuitement. Le droit fait donc la distinction d’avec le contrat de stage où la personne stagiaire peut travailler sans rémunération, mais alors dans son intérêt propre. Dès qu’il existe une rémunération, qui peut prendre la forme du versement d’une somme d’argent, mais aussi d’un gain en nature (hébergement, nourriture, par exemple), alors la question de l’application des règles du contrat de travail se pose. La personne bénévole se distingue ainsi formellement d’une personne employée en ce sens qu’elle n’est pas liée à sa hiérarchie par une relation juridique de contrat de travail.

Le bénévolat accompli à titre gratuit et désintéressé ne repose donc pas sur une relation juridique contractuelle. Il n’existe donc pas d’obligation de fournir une prestation. La personne bénévole peut ainsi débuter et arrêter son travail lorsqu’elle le souhaite. Elle n’a pas d’obligation particulière de fidélité et son engament se limite donc à sa propre volonté de complaisance. Cela dit, les bénévoles qui agissent dans le cadre associatif ou pour le compte d’une fondation doivent néanmoins inscrire leur action dans les règles juridiques imposées par ces structures.

Tel peut être le cas d’un engagement politique, découlant d’un mandat électif ou non, puisqu’un parti politique est en principe une association sans but lucratif au sens des articles 60 et suivants du code civil. Dans ce cas, le droit de l’association peut avoir des effets juridiques sur les bénévoles qui composent le parti politique. S’agissant des mandats électifs, dans le canton de Vaud, l’engagement est réglementé principalement par la loi sur les communes dont les articles 16 et 29 portent sur la question des indemnités. Ces dernières sont fixées par le conseil général ou communal, ce qui explique que les rétributions peuvent varier d’une commune à l’autre. Les membres de cet organe délibérant peuvent encore être qualifiés de bénévoles, puisqu’ils ne touchent en principe qu’un «jeton de présence» qui ne va pas au-delà d’un simple défraiement. La fonction implique cependant quelques obligations qui ne sont certes pas contractuelles au sens du droit civil, mais qui sont régies par le droit public.

Quant aux fonctions exécutives, dans les grandes communes, elles peuvent faire l’objet de véritables contrats de travail, pour un plein temps ou, le plus souvent, un temps partiel. Il ne s’agit dès lors plus à proprement parler d’une activité bénévole, même si le dévouement des membres de la municipalité va souvent au-delà de la contrepartie rétribuée, ce qui rend le système plutôt sympathique. Toutefois, le droit du travail ne peut certes pas s’appliquer au même titre que n’importe quelle personne employée d’une entreprise privée ou publique, puisque la relation juridique dépend des humeurs, parfois versatiles, du souverain.

(article publié dans Bulletin du Cercle démocratique No 3 • septembre 2022, p. 30)

Les voies de recours de la nouvelle loi sur l’exercice des droits politiques

Les médias se sont faits plutôt discrets sur ce thème, mais le Bulletin du Cercle démocratique ne peut pas passer à côté, ce d’autant moins que 2022 est une année électorale dans le canton de Vaud. Le 1er janvier 2022 est entrée en vigueur une importante refonte de la loi vaudoise sur les droits politiques (LEDP). Petit tour d’horizon concernant les droits permettant aux citoyens de contester des décisions sur l’exercice des droits démocratiques, autrement dit les «voies de recours».

Commençons d’abord par ce qui ne change pas. D’une façon générale, les délais de contestation restent extrêmement brefs : limités à trois jours. Cette brièveté vise à ne pas entraver le processus démocratique; la procédure doit donc être rapide. Pour les membres du corps électoral, cela signifie qu’il ne faut pas tergiverser, mais décider rapidement d’agir… ou de ne rien faire et en accepter les éventuelles conséquences. C’est ainsi qu’une personne estimant qu’une inscription ou une radiation a été opérée à tort dans le registre des électeurs doit déposer sa réclamation dans les trois jours auprès de la municipalité dès qu’elle découvre le problème, mais cela au plus tard le lundi précédant le scrutin. La municipalité tranche la contestation dans les trois jours ; si la personne n’est pas satisfaite de la décision, elle peut recourir au Conseil d’État… dans les trois jours.

S’agissant des nouveautés, le préfet ou la préfète devient l’autorité de recours compétente pour les litiges ayant trait à un scrutin communal ou intercommunal (et non plus le Conseil d’État). Les préfectures pourront ainsi non seulement instruire le dossier qui leur est présenté comme ce fut le cas jusqu’ici, mais en plus prendre une décision. Ce système est à l’avantage de la proximité de terrain dont on espère une plus grande acuité dans l’appréciation du contexte local. La contestation d’un scrutin communal ou intercommunal s’exerce aussi dans les trois jours par le dépôt d’un mémoire écrit comportant un exposé sommaire des faits, les motifs et des conclusions. Les décisions préfectorales pourront être déférées devant la Cour constitutionnelle du Tribunal cantonal qui agira en qualité d’autorité de deuxième instance. Dans ce cas, le délai de recours sera de dix jours dès la publication officielle de la décision litigieuse.

Quant aux éventuels recours contre la brochure explicative, ils peuvent désormais être déposés de manière plus précoce, la publication de la brochure faisant démarrer le délai de recours. Selon les cas, cela pourrait permettre aux autorités d’agir avant le jour du scrutin et de prendre les mesures qui s’imposent pour rétablir la régularité du processus de vote. Si la contestation porte sur la brochure explicative émanant du Conseil d’État, cette autorité ne sera plus compétente pour en juger. Le recours s’exercera alors directement auprès de la Cour constitutionnelle qui est une autorité judiciaire indépendante. Cette façon de faire applique ainsi de façon plus stricte les principes d’un État de droit.

La nouvelle loi allège les procédures provisionnelles et pré-provisionnelles, qui doivent être rendues très rapidement, comme leur nom l’indique. Il s’agit par exemple de la dénonciation d’irrégularités constatées et devant cesser sans délai. Ainsi, le Grand Conseil et le Conseil d’État jusqu’ici compétents, cèdent la compétence correspondante au bureau du Grand Conseil, respectivement au département concerné, ce qui permettra de répondre à une contestation provisionnelle avec toute la célérité requise. Une décision négative rendue sur mesures provisionnelles peut elle aussi être portée dans les dix jours devant la Cour constitutionnelle. Gardons néanmoins à l’esprit que les contestations n’ont pas d’effet suspensif et n’entraînent donc un changement que si elles débouchent sur une admission, la situation initiale étant maintenue telle qu’elle durant la procédure.

Enfin, un mot sur les recours contre les décisions relatives à la validité d’une initiative populaire qui font l’objet d’un chapitre particulier dans la loi. Tout membre du corps électoral peut contester une telle décision devant la Cour constitutionnelle, et cela dans les vingt jours dès sa publication, par un mémoire écrit dûment motivé et comportant des conclusions.

Pas si simple de s’y retrouver et ce d’autant moins que les délais de trois jours portent sur la plupart des contestations, ce qui ne laisse pas beaucoup de temps. Il faut donc être sûr avant d’agir et foncer, cas échéant! La procédure est généralement gratuite, mais peut devenir onéreuse en cas d’action téméraire. Statistiquement, les cas admis sont plutôt rares, ce dont il faut déduire que les choses démocratiques sont assez bien menées dans notre canton; on ne peut que s’en réjouir.

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(article publié dans Bulletin du Cercle démocratique No 1 • mars 2022, p. 38)

Le droit d’initiative du conseiller communal: un pouvoir à utiliser avec précaution

Que c’est beau d’être élu au Conseil communal! On prend part avec enthousiasme, sinon excitation, aux destinées de sa commune. Finies les lectures passives des faits qui nous entourent: on entre en scène, on participe désormais activement au développement et à la gestion de son territoire communal. Très excitant. Mais comment faire concrètement? Que peut faire le Conseiller communal? Comment doit-il s’y prendre? Et quels seront les effets de ses interventions? Pas si simple de s’y retrouver, entre processus parfois complexes et risques de désillusions.

Le Conseiller communal doit connaître ses droits d’initiative. On en distingue cinq, fixés par la Loi sur les Communes: le postulat, la motion, le projet de règlement ou de décision, l’interpellation et la simple “question” ou “vœu”. Tous ne suivent pas la même procédure. La simple question ou le vœu consiste au fait de s’adresser à la municipalité en plenum pour lui demander quelque chose ou pour s’exprimer. L’exécutif répond immédiatement ou lors de la séance suivante. Il s’agit de la forme la plus simple d’expression du Conseiller communal, la plus souvent utilisée au dernier point de l’ordre du jour, sous “divers et propositions individuelles”.

L’ “interpellation” est sensiblement plus réglementée. Cet outil permet au Conseiller communal de requérir des explications sur un fait de l’administration de la Municipalité. Il faut alors procéder par le dépôt d’un texte appuyé par cinq membres du Conseil au moins. La discussion qui s’ensuit peut faire l’objet d’une résolution qui revêt le plus souvent un caractère symbolique.

Les trois autres types de propositions (postulat, motion et règlement/décision) sont plus complexes et peuvent avoir un effet contraignant. On entre dans la zone où le Conseiller communal peut concrètement exercer une forme de pouvoir. Le “postulat” lui permet d’exiger de l’exécutif qu’il se prononce sur une proposition en émettant un rapport. Cette démarche peut constituer une première étape au développement d’un projet plus étendu.

Plus contraignante, la “motion” permet de charger l’exécutif de présenter une étude ou un projet de décision. La motion, rédigée en termes généraux, a donc la faculté d’amener à la réalisation concrète d’un projet. Enfin, le Conseiller communal peut lui-même déposer un projet de règlement ou de décision. Cet ultime droit d’initiative est le plus contraignant dans la mesure où le texte s’impose à l’exécutif dans les termes mêmes de son rédacteur. Ce dernier doit cependant veiller à ce qu’il demeure inscrit dans le champ de compétences du délibérant, ce qui n’est pas toujours évident. Le projet de règlement ou de décision est très peu utilisé en pratique, mais il s’agit pourtant là d’un instrument particulièrement redoutable face à une Municipalité éventuellement récalcitrante.

Gare à la manière de faire! Le postulat, la motion et le projet de règlement/décision suivent une procédure sinueuse et les Conseillers communaux n’en ont pas toujours conscience. Il faut tout d’abord déposer un texte “recevable”, soit qui corresponde au but fixé, compréhensible, licite, de la compétence du Conseil et respectant le droit supérieur. Premier crible: un texte irrecevable est donc renvoyé à l’expéditeur. Après avoir entendu le Conseiller communal sur sa proposition, le Conseil délibère puis statue immédiatement. Sa décision de “prise en considération” doit alors consister soit au renvoi de la proposition à l’examen d’une commission, soit à son adoption directe.

Nombreux sont les Conseillers communaux à se faire piéger par l’ordre dans lequel le Président du Conseil organise la discussion: s’il demande au conseil de voter sur le renvoi en commission, on se satisfait généralement de ce vote unique alors que la proposition aurait peut-être pu être prise immédiatement en considération. Au contraire, si le Président fait voter la prise en considération immédiate (sans renvoi en commission), le risque existe que le Conseil la rejette, alors qu’il l’aurait peut-être admise si elle était passée en commission. Ainsi, si l’on tient compte que le Conseil acceptera toujours plus difficilement de prendre immédiatement une proposition en considération que de passer par une commission, la prudence voudrait que le Conseil se prononce en premier lieu sur la prise en considération immédiate et, si le vote est négatif, alors sur le renvoi en commission; la proposition n’étant alors rejetée que s’il n’y a pas de majorité aux deux votes successifs.

Une fois prise en considération, la proposition (postulat, motion ou projet de règlement/décision) est traitée par l’exécutif qui devra alors soumettre un “préavis” exécutant le vote du Conseil communal. La Municipalité doit “impérativement” déposer un préavis dans l’année suivant la proposition. Mais ce délai est prolongeable et il peut arriver que des textes demeurent en rade des années durant, faute de volonté de la part de l’exécutif. Une fois le préavis déposé au Conseil communal, il est étudié par une commission puis voté en plenum – avec ou sans “amendements”. Cet ultime stade clôt la procédure et doit donc déboucher sur la réalisation concrète de la proposition… A condition bien sûr que la Municipalité la mette en œuvre…

(article publié dans CDL Infos No 1 • février 2016, p. 16)